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PALEOGRAPHIE

  • Le Cantilène de Sainte Eulalie, témoignage précoce de la langue d'oïl

    « Buona pulcelle fut Eulalia - Bel avret corps, bellezour anima.

    Voldrent la veintre li Deo inimi - Voldrent la faire diavle servir. »

    « Eulalie était une bonne jeune filles – Son corps était beau, son âme plus belle encore.

    Les ennemis de Dieu voulurent la vaincre – Et lui faire servir le Diable ».

     

    Admirez ce parchemin ! Rédigé à l'Abbaye de Saint-Amand près de Valenciennes, voilà un poème religieux de 29 vers composé aux environs de l'an 880 et attribué sans certitude à un scriptorium lotharingien. Découvert en 1837, la « Séquence ou Cantilène de Sainte Eulalie » raconte l'histoire d' Eulalie, cette jeune martyre espagnole du IIIe siècle qui, exhortée par l'empereur romain Maximien (ca 250-310) à « fuir le nom chrétien », préfère mourir plutôt que d'abjurer sa religion. Jetée au feu, sans péchés, elle ne brûle pas. Décapitée, au moment où elle expire, une colombe blanche s'échappe de sa bouche et s’élève vers le ciel...

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    La « Séquence ou Cantilène de Sainte Eulalie »

    Ce qui fait l'extrême valeur paléographique de ce document, c'est qu'il s'agit là vraisemblablement du premier texte littéraire écrit dans une langue romane différenciée du latin, la langue d'oïl, ancêtre de l'ancien français et du français. Cette langue regroupe la plupart des parlers romans d'une moitié nord de la France au Moyen-âge. Ce qui fait qu'en réalité, elle est bien plus proche de la langue courante de cette époque que le texte des Serments de Strasbourg pourtant qualifié « d'acte de naissance de la langue française ».

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    Les différentes variétés de la langue d'oïl avec le Croissant selon l'Atlas des langues régionales de France (CNRS, 2020)

    Il faut savoir qu'il y a plus de 1200 ans, nos ancêtres parlaient une langue romane rustique, un latin « vulagaire » (de « vulgus », « peuple »). Ainsi, à la fin du premier millénaire, le latin, langue savante, la seule digne d'être écrite, n'est compris que par l'élite. Comme le fossé se creuse avec les fidèles qui ne comprennent plus le prêche à l'église, en 813, lors du Concile de Tours, Charlemagne ( ca742 - 814), s'adressant aux évêques, les enjoint "«que chacun s’efforce de traduire clairement ces dites homélies en langue romane rustique ou en tudesque, afin que tous puissent plus facilement comprendre ce qui est dit ».  Il venait ainsi de poser les premiers jalons de la standardisation de la langue dont la forme écrite commercera à se répandre aux XIe et XIIe siècles et qui sera appelée le « françois ».

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    Si la tradition retient les Serments de Strasbourg comme le premier témoignage écrit du français, c'est surtout pour que ça coïncide avec la naissance de la France. En réalité, le manuscrit qui relate cette alliance prononcée le 14 février 842 entre deux petits-fils de Charlemagne, Charles le Chauve (823-877) et Louis le Germanique (806-876) contre leur frère aîné Lothaire Ier (795-855), ne contient que de courts extraits en roman et en germanique, l'essentiel ayant été rédigé en latin...

  • J'exercerai mon art dans l'innocence et la pureté...

    C'est un texte vieux de plus de vingt-cinq siècles qui est cependant toujours d'actualité ! Attribué à Hippocrate, l'original, rédigé en grec ancien, fut probablement écrit par un de ses disciples au IVe siècle av. J.-C. Ce document fut traduit par le médecin Émile Littré (1801-1881) au milieu du 18ème siècle.

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    Publication byzantine du XIIe siècle du serment

    Aujourd'hui encore et bien que revu et actualisé, le serment d'Hippocrate est à la base de la déontologie médicale en Occident. Il fixe un cadre éthique à l'intervention des praticiens, les distingue des « guérisseurs » et inclut de leur part la promesse solennelle de ne pas nuire aux patients et de respecter le secret médical.

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    Homme d'influence, enseignant respecté et grand voyageur, Hippocrate est né en Grèce vers 460 avant J.-C. sur l’île de Kos en mer Égée et est mort en 377 av. J.-C. à Larissa. Médecin du siècle de Périclés, mais aussi philosophe, il est considéré traditionnellement non seulement comme le « père de la médecine » mais aussi et surtout son réformateur. On lui doit l'école hippocratique qui a révolutionné intellectuellement la médecine en Grèce antique. Il a également rendu la médecine distincte et autonome d'autres domaines de la connaissance, comme la théurgie (forme de magie, qui permettrait à l'homme de communiquer avec les « bons esprits » et d'invoquer les puissances surnaturelles aux fins louables d'atteindre Dieu) et la philosophie, pour en faire une profession à part entière.

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    Asclépios, dieu gréco-romain de la médecine

    La généalogie légendaire d’Hippocrate fait remonter son ascendance paternelle directement à Asclépios, le dieu gréco-romain de la médecine. Appartenant à l'illustre famille des Asclépiades, des prêtres médecins, fils de Héraclide, son ascendance maternelle le relierai à Héraclès, fils de Zeus et d’Alcmène et l'un des héros les plus vénérés de la Grèce antique.

  • Le bouleversant testament d'une mère

    16 octobre 1793. 4h30 du matin. Après l'annonce de sa condamnation, accablée de fatigue et transie de froid, dans son cachot de la Conciergerie, d'une écriture rapide et serrée, sur une simple feuille de papier pliée en deux, Marie-Antoinette ( 1755-1793) rédige sa dernière lettre. Elle est destinée à la sœur du roi, Madame Élisabeth (1764-1794), enfermée à la prison du Temple avec les deux enfants royaux, le dauphin et Duc de Normandie, Louis-Charles (1785-1795) et sa sœur aînée Marie-Thérèse Charlotte de France (1778-1851).

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    Voilà plus de deux mois que "l'Autrichienne" a été séparée de ses enfants, qu'elle n'a plus aucun contact avec eux. Elle sait qu'elle ne les reverra jamais. Mais elle refuse de douter de leur avenir. Alors, sans plainte et sans haine, à l'aide de mots simples et de phrases de réconfort, elle va leur laisser ce poignant témoignage d'amour maternel que, par prudence elle évitera de signer.

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    Marie-Antoinette, reine de France, et ses enfants - Huile sur toile d'E.Vigée-Le Brun - 1787

    "Ce 16 8bre, 4heures ½ du matin C'est à vous, ma sœur, que j'écris pour la dernière fois ; je viens d'être condamnée non pas à une mort honteuse, elle ne l'est que pour les criminels, mais à aller rejoindre votre frère. Comme lui innocente, j'espère montrer la même fermeté que lui dans ces derniers moments. Je suis calme comme on l'est quand la conscience ne reproche rien ; j'ai un profond regret d'abandonner mes pauvres enfants ; vous savez que je n'existais que pour eux, et vous, ma bonne et tendre sœur, vous qui avez par votre amitié tout sacrifié pour être avec nous, dans quelle position je vous laisse ! J'ai appris par le plaidoyer même du procès que ma fille était séparée de vous. Hélas ! la pauvre enfant, je n'ose lui écrire, elle ne recevrait pas ma lettre, je ne sais même pas si celle-ci vous parviendra, recevez pour eux deux ici ma bénédiction. J'espère qu'un jour, lorsqu'ils seront grands, ils pourront se réunir avec vous et jouir en entier de vos tendres soins. Qu'ils pensent tous deux à ce que je n'ai cessé de leur inspirer : que les principes et l'exécution exacte de leurs devoirs sont la première base de la vie ; que leur amitié et leur confiance mutuelle en feront le bonheur ; que ma fille sente à l'âge qu'elle a, elle doit toujours aider son frère par les conseils que son [mot rayé dans l'original] l'expérience qu'elle aura de plus que lui et son amitié pourront lui inspirer ; que mon fils, à son tour, rende à sa sœur tous les soins, les services, que l'amitié peut inspirer ; qu'ils entent enfin tous deux que, dans quelque position où ils pourront se )trouver, ils ne seront vraiment heureux que par leur union, qu'ils prennent exemple de nous : combien, dans nos malheurs, notre amitié nous a donné de consolations, et dans le bonheur on jouit doublement quand on peut le partager avec un ami ; et où en trouver de plus tendre, de plus cher que dans sa propre famille ? Que mon fils n'oublie jamais les dernier mots de son père que je lui répète expressément : qu'il ne cherche pas à venger notre mort. J'ai à vous parler d'une chose bien pénible à mon cœur. Je sais combien cet enfant doit vous avoir fait de la peine ; pardonnez-lui, ma chère sœur ; pensez à l'âge qu'il a, et combien il et facile de faire dire à un enfant ce qu'on veut, et même ce qu'il ne comprend pas ; un jour viendra, j'espère, où il ne sentira que mieux tout le prix de vos bontés et de votre tendresse pour tous deux. Il me reste à vous confier encore mes dernières pensées. J'aurais voulu les écrire dès le commencement du procès ; mais outre qu'on ne me laissait pas écrire, la marche en a été si rapide, que je n'en aurais réellement pas eu le temps. Je meurs dans la religion catholique, apostolique et romaine, dans celle où j'ai été élevée, et que j'ai toujours professée, n'ayant aucune consolation spirituelle à attendre, ne sachant pas s'il existe encore ici des prêtres de cette religion, et même le lieu où je suis les exposerait trop s'ils y entraient une fois. Je demande sincèrement pardon à Dieu de toutes les fautes que j'ai pu commettre depuis que j'existe. J'espère que, dans sa bonté, il voudra bien recevoir mes derniers vœux, ainsi que ceux que je fais depuis longtemps pour qu'il veuille bien recevoir mon âme dans sa miséricorde et sa bonté. Je demande pardon à tout (sic) ceux que je connais et à vous, ma sœur, en particulier, de toutes les peines que, sans le vouloir, j'aurais pu vous causer. Je pardonne à tous mes ennemis le mal qu'ils m'ont fait. Je dis adieu à mes tantes et (un mot rayé] et à tous mes frères et sœurs. J'avais des amis, l'idée d'en être séparée pour jamais et leurs peines sont un des plus grands regrets que j'emporte en mourant, qu'ils sachent au moins que, jusqu'au dernier moment, j'ai pensé à eux. Adieu, ma bonne et tendre sœur ; puisse cette lettre vous arriver ! Pensez toujours à moi, je vous embrasse de tout mon cœur, ainsi que ces pauvres et chers enfants : mon Dieu ! qu'il est déchirant de les quitter pour toujours ! Adieu, adieu ! Je ne vais plus m'occuper que de mes devoirs spirituels. Comme je ne suis pas libre dans mes actions, on m'amènera peut-être un prêtre, mais je proteste ici que je ne lui dirai pas un mot, et que je le traiterai comme un être absolument étranger."

    10 heures du matin. Elle a posé sa plume. Ses bourreaux sont là. Les mains liées, elle franchit la grille de la Conciergerie et monte dans la charrette qui l'emmène sur la place de la Révolution (aujourd'hui place de la Concorde). En gravissant l'échelle de l'échafaud, elle perd l'un de se ses souliers. Il est ramassé par le Comte de Guernon-Ranville, une famille de vieille noblesse normande, et pieusement conservé par lui. Il fait aujourd'hui partie de la collection du musée des beaux-arts de Caen.

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    Le dernier soulier de Marie-Antoinette

    Jamais la lettre de Marie-Antoinette, pourtant visée et signée par les membres du Tribunal Révolutionnaire, ne parviendra à sa destinataire. Jamais ses enfants n'en auront connaissance. Elle demeurera aux mains des Jacobins jusqu'en 1816, date à laquelle le roi Louis XVIII (1755-1824) fait saisir les documents conservés par le Conventionnel Courtois (1754-1816) lequel avait été chargé de l’inventaire des papiers de Robespierre (1758-1794) après sa chute.