30 septembre 1891. 11 heures 30 du matin. Cimetière d'Ixelles, quartier sud de Bruxelles (Belgique). Un landau tiré par deux chevaux s'arrête devant la grille d'accès. Un homme de belle allure, un bouquet de roses rouges à la main, en descend. Il s'engage d'un pas ferme dans l'allée principale. Il se dirige prestement vers une pierre tombale récente sur laquelle est gravé « Marguerite – 19 décembre 1855 – 16 juillet 1891 – A bientôt ». Il s'incline alors devant la sépulture de celle qui fut sa maîtresse, celle qu'il a aimée avec passion, celle qui est partie dans ses bras, Marguerite Bouzet. Le couple s'était rencontré quatre années plus tôt. Entre-eux, ce fut un véritable coup de foudre. Elle est libre, récemment divorcée du vicomte de Bonnemains. Il est marié et père de deux filles et ne divorcera pas. Hélas, la belle, victime de la phtisie, est décédée deux mois plus tôt, soit le 16 juillet.
Marguerite de Bonnemains ( 1855-1891)
Après avoir déposé ses fleurs sur la stèle de son aimée, parce que le chagrin a fait de lui « un corps sans âme », de sa poche, il tire un pistolet de gros calibre, se l'applique sur la tempe et tire. Ce suicide va faire la une de la presse car cet homme éploré n'est autre que le Général Georges Boulanger. Celui-là même qui a ébranlé la Troisième République ! Saint-Cyrien de formation, promu commandeur de la Légion d'honneur en 1871, Général de Division en 1884 et Ministre de la Guerre en 1886, sa popularité a été longtemps au zénith... avant qu'elle ne retombe, le sort semblant s'acharner sur lui.
Contraint de s'enfuir en Belgique en début d'année 1889, il y apprend le 4 avril que son immunité parlementaire a été levée. Poursuivi pour « complot contre la sûreté intérieure » mais aussi pour « détournement de deniers publics, corruption et prévarication », le Sénat réuni en Haute Cour de Justice le condamne le 14 août suivant par contumace à la « déportation dans une enceinte fortifiée ».
Suicide du général Boulanger au cimetière d'Ixelles - Une du Petit Journal du 10 octobre 1891
Son clap de fin, il l'a préparé froidement et minutieusement, sans rien laisser rien au hasard. Après une dernière lettre à sa mère, il a établi lui-même la liste des destinataires qui recevront cet ultime et laconique message « Le général Boulanger vient de se tuer ». Enfin, sur la stèle de sa chère Marguerite, cette stèle sous laquelle il souhaite reposer aux-côtés de son aimée, sera gravé cet épitaphe « Georges – 29 avril 1837 – 30 septembre 1891 – « Ai-je bien pu vivre 2 mois 1/2 sans toi ! ? »
Sépulture de Georges et de Marguerite
Apprenant son décès, son ancien camarade du Lycée de Nantes, celui qui lui a permis de faire ses premiers pas en politique, celui à qui il doit sa nomination au ministère de la Guerre, Georges Clemenceau (1841-1929) se contentera de ces mots : «Il est mort comme il a vécu : en sous-lieutenant.»
Biblio. « «Petit étalage des morts stupides » d'A. Novarino-Pothier – Ed. De Borée, 2020.